Objectifs scientifiques:
Les plantes à fleurs se caractérisent par une étonnante diversité des processus de reproduction sexuée et des modalités de son contrôle. Par son implication directe dans le transfert du matériel génétique entre générations successives (systèmes génétiques), la reproduction est une étape du cycle de vie particulièrement propice à l’existence de formes intenses et contrastées de sélection naturelle. Dans ce contexte, l’axe fédérateur des recherches au sein de ce thème est l’utilisation d’outils de génomique pour étudier l’évolution des systèmes de reproduction chez les plantes. Il s’agit d’une part de mieux comprendre les bases génétiques et moléculaires des systèmes de reproduction, en identifiant l’architecture génétique et/ou les gènes contrôlant des systèmes aussi divers que la gynodioécie, l’androdioécie ou l’auto-incompatibilité. D’autre part, nous étudions les processus impliqués dans l’évolution moléculaire des éléments génétiques et des régions génomiques qui contrôlent ces systèmes de reproduction, en nous focalisant en particulier sur le rôle de la sélection naturelle sous ses différentes formes. L’analyse des polymorphismes de ces régions permet également d’inférer des scénarios évolutifs associés aux transitions de systèmes de reproduction. Enfin, nous nous intéressons également aux conséquences de ces transitions sur l’évolution et la diversité du génome dans son ensemble au travers d’une approche de génomique des populations.
Projets récents et en cours:
1.Architecture du conflit génétique nucléo-cytoplasmique (IdC, PT, JC)
La gynodioécie, c’est-à-dire la coexistence de plantes femelles et hermaphrodites en populations naturelles, repose communément sur des interactions entre des gènes cytoplasmiques responsables de la stérilité mâle (gènes CMS) et des restaurateurs nucléaires de la fonction mâle. Si la composante cytoplasmique est bien décrite chez Beta vulgaris ssp. maritima, espèce modèle pour l’étude de la dynamique de la gynodioécie, le déterminisme de la restauration reste à élucider. Une approche de cartographie génétique sera utilisée pour identifier les locus impliqués dans la restauration de la fonction mâle, leurs effets relatifs ainsi que leurs interactions potentielles, ceci pour les deux CMS les plus communes en populations naturelles. Cette description de l’architecture génétique de la restauration nous permettra de valider empiriquement l’existence d’un coût silencieux de la restauration, qui est une condition théorique du maintien de la gynodioécie, et d’affiner notre compréhension de la dynamique de ce polymorphisme nucléo-cytoplasmique.
2.Androdioécie et architecture du système d’auto-incompatibilité à deux groupes homomorphes chez les Oleaceae et de la stérilité femelle associée chez Phillyrea angustifolia et Fraxinus ornus (PSL, SB, XV, ANR TRANS)
Les travaux précédents du groupe ont mis en évidence un système inédit d’auto-incompatibilité (AI) sporophytique diallélique chez Phillyrea angustifolia au sein des Oleaceae. Ce système similaire à l’hétérostylie est inhabituel parce qu’il y a homomorphie complète entre les deux groupes d’incompatibilité et qu’il concerne aussi bien des espèces anémophiles qu’entomophiles. Ce système d’AI semble faciliter l’évolution de l’androdioécie à partir de l’hermaphrodisme. Des résultats préliminaires suggèrent que ce système serait également présent chez des genres phylogénétiquement distants, dont notamment deux genres d’intérêt économique : l’olivier et le frêne. Ce projet vise à déterminer l’origine du système d’AI à deux groupes et ses conséquences sur les transitions entre systèmes de reproduction. Le déterminisme génétique des caractères genre sexuel et auto-incompatibilité seront étudiés chez quatre genres d’Oleaceae : Phillyrea et Olea comme genres modèles, ainsi que Fraxinus et Ligustrum pour représenter des lignées phylogénétiquement plus éloignées. Deux approches seront menées de front à partir de collections et de descendances de croisements contrôlés phénotypées pour l’AI (définition de groupes de compatibilité avec des tests stigmatiques) et le sexe (hermaphrodites ou mâles pour les androdioïques): cartographie génétique (recherche de QTLs) et scan génomique sur des données de transcriptomique (RNA-seq). Les gènes identifiés dans les deux espèces modèles seront recherchés et comparés chez Fraxinus et Ligustrum afin d’étudier l’évolution du système au sein de la famille des Oleaceae.
3.Architecture de l’auto-incompatibilité chez les Asteraceae (MCQ, TH, SL)
Les Asteraceae représentent une des plus grandes familles d’Angiosperme et la majorité des espèces présente un système d’AI sporophytique, apparu indépendamment de celui identifié chez les Brassicaceae mais dont le déterminisme moléculaire reste inconnu. Les chicorées (Cichorium intybus L. et C. endivia L.) présentent un continuum de variabilité intra- et inter-spécifique pour la réponse auto-incompatible (génotypes auto-incompatibles, partiellement compatibles et auto-fertiles), ce qui en fait un groupe d’intérêt pour disséquer les bases génétiques et moléculaires de ce mécanisme chez les Asteraceae. Des approches complémentaires (génétique, clonage positionnel, RNAseq) ont permis de délimiter le locus d’AI (locus S) et d’identifier des gènes candidats pour les fonctions pistil et pollen chez C. intybus. Les objectifs sont de : (1) valider l’implication des candidats lors de l’interaction pollen-stigmate (expression spatio-temporelle, polymorphisme nucléotidique, validation fonctionnelle par transformation génétique); (2) identifier les bases génétiques de la perte partielle (C. intybus) ou totale (C. intybus et C. endivia) d’auto-incompatibilité, en réponse à la sélection naturelle ou artificielle (cartographie génétique); (3) établir si le mécanisme d’AI identifié chez les chicorées est partagé ou non avec d’autres groupes d’Asteraceae (Lactuca, Senecio, Centaurea,…), au travers d’une approche de génomique comparative de la région du locus S.
4.Evolution du locus S des Brassicaceae (CP, XV, VC)
Cet axe de recherche vise à retracer l’histoire du locus S chez les Brassicaceae comme témoin de la dynamique évolutive du système de reproduction, afin notamment de tester l’influence de processus moléculaires (duplications de génome entier) ou écologiques (spéciation) sur cette dynamique. Alors que les allèles d’auto-incompatibilité forment typiquement de très nombreuses lignées divergentes, ils se regroupent en seulement 2 à 3 classes phylogénétiques chez les espèces des tribus Brassiceae et Biscutelleae. Pour tester l’hypothèse que des réarrangements chromosomiques résultants de paléo-polyploïdisation pourraient être à l’origine de ces goulots d’étranglement génétiques nous voulons (i) reconstruire les relations phylogénétiques au sein de ces tribus, (ii) positionner sur les arbres le ou les évènements de paléo-polyploïdisation via l’analyse du transcriptome d’espèces représentatives, (iii) identifier les évènements de perte de diversité allélique au locus S, et (iv) mettre en évidence la position génomique du locus S pour la comparer à la position ancestrale. Chez les espèces autogames, nous tenterons de déterminer l’âge de la rupture d’incompatibilité, afin de tester si celle-ci est liée ou non au processus de spéciation.
5.Bases génétiques et évolution de la dominance (VC, SB, ERC NOVEL)
Nos travaux récents ont montré que les relations de dominance/récessivité entre allèles d’AI chez Arabidopsis sont contrôlées par un ensemble de neuf familles distinctes de petits ARNs régulateurs. Nos travaux viseront à mieux comprendre ce système original de régulation génétique et s’orienteront dans deux directions: 1. Aspects fonctionnels : a) le contrôle au niveau ARNm est-il généralisable à l’ensemble des relations de dominance/récessivité observées ? b) tous les petits ARNs identifiés régulent-ils l’expression de leur cible via le contrôle des états de méthylation de leurs cibles prédites ? 2. Aspects évolutifs : a) Mise en évidence du processus de co-évolution entre les gènes producteurs des petits ARNs et leurs séquences cibles, par analyse du polymorphisme nucléotidique b) sur la base de ce processus de co-évolution, vers quelles topologies devraient théoriquement converger les réseaux de dominance entre allèles d’AI, et celles-ci sont-elles compatibles avec les observations réalisées lors des croisements contrôlés ?
6. Evolution du génome mitochondrial (PT, SG ; coll. Avec J-S Varré – Laboratoire CRiSTAL, Univ. Lille1, L. Maréchal- Drouard et J. Gualberto – IBMP, Strasbourg – projet PEPS CNRS 2012)
Par une approche de génomique comparative, nous souhaitons comprendre les forces évolutives impliquées dans l’évolution du génome mitochondrial chez les plantes, et en particulier chez les espèces gynodioïques. En effet chez ces espèces les génomes mitochondriaux sont directement impliqués dans le conflit génétique qui sous-tend ce polymorphisme sexuel. Nous nous focaliserons sur les Caryophyllales : Beta vulgaris dont nous disposons de 6 séquences entières de génomes, et Silene nutans (gynodoïque) dont le séquençage de 5 génomes mitochondriaux est en cours avec un génome mitochondrial de S. acaulis (gynodioïque) et de S. otites (dioïque). Nous espérons mieux comprendre l’évolution en structure de ces génomes, identifier les zones actives en recombinaison, mais aussi mieux quantifier le taux de mutation mitochondrial chez Silene réputé comme très variable (avec en parallèle le séquençage du génome entier chloroplastique). L’analyse de ces génomes nous permettra aussi de rechercher les facteurs mitochondriaux potentiellement impliqués dans la gynodioécie et la transition vers la diécie.
7. Evolution des réseaux de régulation par les microARNs (SL, VC, collaboration H. Touzet & M. Salson – Laboratoire CRiSTAL Univ. Lille1; projet émergent Région Nord Pas de Calais MICRO2)
Les microARNs jouent un rôle central dans la régulation de l’expression des gènes, contrôlant ainsi de multiples processus fondamentaux du développement. La comparaison des répertoires de microARNs d’espèces proches constitue un moyen d’étudier les processus d’émergence et d’évolution des microARNs, qui sont très mal connus chez les plantes. Dans ce contexte, l’objectif est d’étudier par séquençage massif l’évolution des microARNs à une échelle phylogénétique fine en comparant l’ensemble des microARNs produits par A. halleri et A. lyrata qui ont divergé il y a moins de 0,5 millions d’années. Une analyse de degradome (identification des produits de clivage des ARNm par les microARNs) permettra d‘identifier chez ces mêmes espèces le répertoire de cibles des microARNs. Les objectifs principaux du projet sont de 1) identifier et caractériser des paires microARN-cible récemment apparus spécifiquement chez l’une des deux espèces et 2) comparer les patrons d’évolution des séquences codant pour les microARNs et pour leurs cibles afin de caractériser la processus de co-évolution entre ces éléments génétiques en interaction. En parallèle, un autre objectif est de contribuer au développement d’outils de prédiction et d’identification de microARNs dans les données de transcriptome (RNAseq et sRNAseq).
8. Influence du système de reproduction sur la diversité génomique (PT, IdC, JC, XV, VC, ANR TRANS)
De nombreux travaux théoriques prédisent que les systèmes de reproduction devraient avoir un impact majeur sur l’évolution du génome dans son ensemble à travers leurs effets sur e.g. l’efficacité de la sélection, la taille efficace, le taux de recombinaison efficace. Alors que les données disponibles pour tester ces hypothèses sont longtemps restées limitées, l’essor des méthodes de séquençage à haut débit permet désormais d’envisager des études comparatives avec une approche de génomique des populations à grande échelle. Dans ce contexte, nous nous proposons de comparer par RNA-seq ou reséquençage ADN la diversité génomique de couples d’espèces au sein des genres modèles Silene, Beta et Arabidopsis, ou non-modèles (Biscutella) qui ont subi des transitions récentes de leur système de reproduction (de l’hermaphrodisme à la dioecie via la gynodioecie pour Silene et de l’allofécondation à l’autofécondation, pour les autres genres).